Avoir un handicap n’est jamais facile à vivre. On peut dire aujourd’hui que la notion de handicap est devenue beaucoup plus large et tend à inclure tout ce qui n’est pas dans le « standard » : dépression, myopie, dyslexie, diabète, obésité, etc.
Au delà du handicap moteur, synonyme dans nos esprits de « fauteuil roulant », la surdité et la cécité sont des handicaps sensoriels majeurs. Vous me direz « mieux vaut être sourd qu’aveugle » et je réponds « mieux vaut être myope que malentendant ». Car mal entendre, c’est mal communiquer et dans notre société, la communication est devenue primordiale dans tous les domaines, que ce soit dans le travail, les relations sociales ou les loisirs.
Auparavant, un artisan qui connaissait bien son travail n’avait pas besoin de beaucoup communiquer. La partie administrative et commerciale était quasiment inexistante. Aujourd’hui, il doit savoir vendre son produit, le mettre en valeur, trouver de nouveaux débouchés. Et pour cela, il doit téléphoner à droite et à gauche, savoir se vendre, savoir communiquer. Il a besoin pour cela de toutes ses qualités sensorielles et cognitives.
Et c’est le cas pour la plupart des métiers, que ce soit dans le domaine productif, tertiaire, artistique, culturel ou social car la partie commerciale a pris tous les devants. Elle est même devenue plus importante que le produit ou le service lui-même !
Mal entendre ne se voit pas. Ne pas réagir à une demande orale ou comprendre de travers peut même être synonyme de manque de vivacité et donc d’intelligence. Limite si on ne vous prend pas pour quelqu’un de débile. Votre interlocuteur se tourne alors vers la personne qui vous accompagne, s’il y a lieu, d’un air interrogatif… Mal entendre est devenu un handicap important dans notre société de communication. Un handicap qui exclut.
On fait répéter parce qu’on n’a pas compris, mais répéter tue la spontanéité de la conversation.
Répéter une fois, deux fois, trois fois finit toujours par lasser votre interlocuteur.
La vivacité, le rebond du dialogue est mis à mal. L’échange est rompu. Au sein du groupe, vous perdez le fil, vous ne comprenez pas et vous n’avez alors pas les éléments qui vous permettent de rebondir et de participer à la conversation. Ou alors, vous faîtes une tentative mais vous tombez complètement à côté. Vous parlez du sujet précédent alors qu’on est passé à autre chose. Vous avez l’air malin… Vous vous sentez nul. A ce rythme, vous passez vite pour un être insipide et terne. Vous êtes malheureux en groupe. Vous commencez alors à fuir la société. Vous n’avez pas envie de vous trouver une fois de plus dans ces situations qui vous mettent mal à l’aise…
Je n’ai pas le souvenir d’avoir souffert de mon handicap durant mon enfance. L’enfant joue avant de communiquer. Il utilise un autre langage. J’ai seulement le souvenir d’un jeu appelé « téléphone arabe » où l’on s’asseyait en cercle et où l’on désignait un joueur qui choisissait une phrase simple et la chuchotait à son voisin et ainsi de suite. La phrase arrivait ainsi au dernier joueur complètement déformée, surtout si je faisais partie du cercle. On s’étonnait qu’il y ait tant d’écart entre la phrase du début et celle de la fin. Je savais que cela venait de moi mais je ne disais rien. Je n’ai jamais réussi à comprendre les voix chuchotées, surtout si la personne ne me parle pas en face car je lis beaucoup sur les lèvres.
En classe de primaire et de collège, j’étais placée devant. Toujours. Les instituteurs et les professeurs étaient informés de mon handicap et ils étaient plutôt attentionnés.
Ma hantise était la dictée. J’étais suspendue aux lèvres du professeur qui n’arrêtait pas de se déplacer et qui parfois me tournait les dos. Là j’étais perdue et il fallait tout répéter. Je n’aimais pas les cours d’anglais où il fallait écouter le disque « le répétiteur d’anglais » que je ne comprenais pas. Ni les cours de musique où nous devions reconnaître les morceaux de musique classique dont je ne distinguais pas les subtilités.
Ensuite au lycée, je gardais dès que je le pouvais ma place de bonne élève au premier rang, ce qui m’excluait des bandes joyeuses qui préféraient les rangs du fond où l’on pouvait parler et chuchoter aisément. A l’étude, les chuchotements et conversations à voix basse étaient encore hors de ma portée. Comme d’ailleurs les groupes de jeunes où l’on aimait rire et plaisanter.
Je ne faisais pas partie des bandes où alors sans participer, faisant simplement acte de présence ou réduisant mes échanges de conversations à des groupes de 2 ou 3 personnes, ce qui me faisait passer pour une fille effacée qu’on ne recherchait pas.
J’étais une enfant active et joueuse. J’ai été une adolescente réservée et solitaire. Quelle jeune fille et quelle adulte aurais-je été sans ce handicap ?
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Aujourd’hui petit coup de blues. Hier soir à la gym, dans cette salle qui résonne, nous sommes allongées sur les tapis de sol pour effectuer les exercices… Aude la kiné a une voix forte et plutôt grave mais je ne la vois pas parler et je ne comprends pas les consignes. Je relève la tête pour la voir ou je regarde discrètement mes collègues mais pour ce qui est des subtilités et du rythme de la respiration, je ne peux pas deviner. Du coup, je ne fais pas les exercices comme il le faudrait et je n’arrive pas à me mettre « dedans » ; je ne suis pas concentrée.
Pour les plaisanteries échangées, je souris mais tout m’échappe… je suis toujours comme cela, à part, déconnectée, malheureuse…