J’ai souhaité faire ce témoignage pour exprimer la difficulté d’expression sans l’audition, montrer l’incompréhension qu’il peut y avoir de part et d’autre, mettre en avant la nécessité de l’attention particulière à l’autre. Être dans l’écoute autre que la parole (l’expression du corps, les mimiques …) est particulièrement important pour comprendre la personne qui souffre de sa malentendance et fait souffrir son entourage sans en être consciente. En entendant correctement ce n’est pas dans notre habitude, ça exige une réflexion, un repositionnement.
Je m’appelle Géraldine, j’ai 53 ans. Je suis la fille de Josée et André. Ma mère, âgée de 76 ans, est malentendante depuis sa naissance. Elle a été appareillée à l’âge adulte. Mon père, âgé de 82 ans, est malentendant depuis une dizaine d’années suite à un choc auditif (un pétard a explosé près de son oreille lors d’une manifestation). Il vient de se faire appareiller il y a quelques mois. OUF ! C’est un cri du cœur puisque vous allez le remarquer dans le témoignage qui suit, la relation sans communication orale devenait trop difficile à vivre pour moi.
J’ai toujours eu l’impression que ma mère entendait bien car elle ne faisait jamais répéter ! Mon frère était malentendant : il lui manquait un conduit auditif à la naissance et il a été appareillé à l’âge adulte aussi. Dès l’enfance, je me suis donc mise à parler très fort de façon spontanée. La conscience de ce fait est venu par la suite.
Mon père entendant très bien jusqu’à son choc auditif, tout allait comme sur des rails.
Le déraillement a eu lieu quand il a commencé à faire répéter en s’énervant avec ma mère tout particulièrement !
Ma mère lui criant dessus de plus en plus souvent en lui reprochant de ne pas vouloir se faire appareiller. Elle était fatiguée de toujours répéter. De plus il y avait une double incompréhension puisqu’elle ne faisait jamais répéter alors qu’elle était malentendante !
Mon père devenait agressif, aigri. Il se coupait du monde, de la vie de jour en jour. Lui qui est un militant né, une personne dans l’échange, aimant parler, il se fanait !
Je me suis toujours demandé s’il se sentait diminué ? Était-ce trop dur à supporter pour lui de ne plus refléter l’image d’un homme fort qui trouve toujours des solutions, qui reste debout malgré les épreuves de sa vie ?
Ma mère en souffrait, leur relation aussi. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours vu un couple uni, aimant, tendre l’un envers l’autre. Là, je voyais deux lions dans l’arène !
J’en ai parlé à mon père, me faisant aidé par des conseils pédagogiques d’une amie, Rachel, malentendante aussi. J’ai acheté pour mon père, une ardoise ainsi qu’un cahier pour que nous communiquions en écrivant. Rien n’y faisait … Mes parents se disputaient sans cesse à cause de MAL-ENTENDUS.
J’ai plusieurs fois exprimé mon malaise en leur proposant de parler chacun à leur tour, reformuler ce qui dit l’autre. Ils se prêtaient au « jeu » en ma présence. Je leur en étais reconnaissante et je leur exprimais ma joie de pouvoir communiquer avec eux.
Puis…ça recommençait…
J’ai été aussi la passeuse de mots : ma mère me disant : « Que dit ton père ? Je n’entends pas » et vice-versa « Que dit ta mère ? Je ne l’entends pas ; elle crie trop fort ! »
Une fois, j’ai répondu à ma mère « Il dit que je vais finir à l’hôpital psychiatrique si vous continuez à vous servir de moi comme intermédiaire ». Dit calmement et avec humour, cette phrase a eu le mérite de déclencher quelque chose chez ma mère. Dès lors, elle a été plus attentive à mon père, lui répétant sans s’énerver ce qui a aussi conduit mon père à faire des pas vers elle.
Puis …c’est revenu …..
La coupure de communication a dégradé leur couple de façon insidieuse.
Et un jour mon père est allé se faire appareiller en disant : « J’ai tout essayé pour reprendre de l’audition. Rien n’y fait. Je me coupe du monde. A quoi ça sert de vivre sans les autres ? Je vais me faire appareiller ! »
La persévérance de ma mère à mettre les faits en lumière, même si c’est souvent passé par des reproches, n’est sans doute pas étrangère à ce changement d’optique de mon père.
Depuis quelques temps, j’arrive de nouveau à parler au téléphone avec mon père. C’était impossible depuis quelques années. La communication avec ma mère, avec son entourage s’est améliorée en quelques temps de façon notable. Il participe de nouveau aux échanges dans une discussion, ce qu’il ne faisait plus depuis quelques années.
Il a toujours ses coups de grisou de par son côté stéphanois et passionné ! Mais ça, c’est son caractère qui revient au même rythme qu’il s’habitue à entendre de nouveau.
Les difficultés d’audition de nos proches nous apprennent à se recentrer sur l’essentiel de la communication, sur le plaisir d’être ensemble et sur celui de partager autre chose que les mots. Un avenir est possible en créant de nouvelles passerelles, l’appareillage en est une ; d’autres sont à créer !