Nous avons eu l’occasion de rencontrer Clara, interprète chez RogerVoice. Une rencontre très enrichissante qui devrait vous intéresser !
ALDSM : Bonjour Clara . En quoi consiste votre travail au sein de RogerVoice ?
Clara : Je suis interprète français-langue des signes françaises. Certain.e.s disent aussi visio-interprète car je ne travaille qu’à distance, par écran interposé et uniquement pour traduire des appels téléphoniques.
Comment avez-vous appris la LSF ?
J’ai commencé mon apprentissage de la LSF en classe de 3e, pour découvrir, comme un loisir. Ça m’a tout de suite beaucoup plu !
L’apprentissage a été très long, plusieurs années pour devenir bilingue afin de rentrer en Master d’interprétation.
Cet apprentissage requiert une mémoire visuelle car il est difficile de prendre des notes donc cela dépend beaucoup des personnes. Pour ma part j’ai eu de la chance car j’avais des facilités à comprendre le fonctionnement de cette langue et à me souvenir des signes.
Pouvez-vous nous raconter une de vos journées de travail ?
Je travaille à temps partiel pour Rogervoice. Habitant loin de Paris, je travaille depuis mon domicile, dans une pièce dédiée. Une fois prête, j’enfile mon sweat « Rogervoice » et j’allume l’ordinateur. Je traduis alors des appels pendant 2h, répartis sur la matinée. Et je fais la même chose l’après-midi. Le centre-relais, c’est une diversité d’appels : administratifs, familiaux, professionnels,… Il faut s’adapter rapidement à chaque nouveau contexte et c’est ce qui me plaît.
La crise sanitaire et le développement de la visioconférence ont-ils eu un impact sur le niveau d’activité de Rogervoice ?
Oui, comme pour les entendant.e.s, la place qu’a pris le téléphone dans le quotidien est énorme depuis le confinement. Au début, de nombreux services administratifs n’étaient joignables que par téléphone, les discussions entre collègues se faisaient davantage au téléphone (télétravail). Et il y a eu de nouveaux services, tel que le numéro d’information sur le coronavirus qui a été rendu accessible par l’intermédiaire de Rogervoice et a généré un volume important d’appels.
Est-ce difficile de rester neutre et discret quand on participe à une conversation téléphonique en tant qu’interprète ?
La neutralité fait partie de la déontologie de mon métier. Dès le Master en tant qu’élève interprète nous travaillons beaucoup autour de cette question délicate. Cela s’apprend. Néanmoins nous ne sommes pas des robots et il se peut que dans certaines situations nos émotions soient difficiles à contrôler. C’est pour cela qu’il est important de faire des pauses entre les appels pour éviter que la fatigue nous fragilise.
Auriez-vous une anecdote à nous raconter ?
Je pense à une personne sourde dont la maman avait été emmenée à l’hôpital pendant la nuit. Elle avait été prévenue par SMS au matin, sans en savoir plus. Très inquiète, elle a pu immédiatement joindre l’hôpital pour avoir des nouvelles. Elle m’avait dit en fin d’appel qu’il y a encore quelques temps, elle aurait dû certainement attendre de trouver quelqu’un pour passer l’appel à sa place, ceci sans pouvoir poser toutes ses questions ni rebondir aux propos de l’interlocuteur.trice !
Je me souviens aussi d’un appel adorable d’une petite fille sourde à sa grand-mère pour lui souhaiter une bonne fête. La grand-mère n’avait plus une très bonne audition. Je me suis retrouvée à parler fort voire crier dans mon micro pour qu’elle puisse me comprendre. Un vrai dialogue de sourdes ! 🙂
Qu’aimez-vous dans ce métier ?
J’aime mes langues de travail :
– En français : trouver la bonne formulation, le bon ton.
– En langue des signes : chercher la bonne image à « donner à voir » par mes mains et mes expressions faciales. J’ai à cœur de rendre possible la communication entre deux personnes qui ne pourraient pas échanger si facilement sans ma présence.
Chez Rogervoice ce qui me plaît particulièrement c’est la variété des situations et des personnes que l’on « rencontre » dans une même journée. Impossible de se lasser !
Quelle sont les difficultés rencontrées dans ce métier ?
Plusieurs éléments constituent des points d’attention lorsqu’on est visio-interprète.
Tout d’abord, le fait que l’échange soit en 2D : via un écran on perd une dimension, ce qui rend la compréhension plus délicate et demande des ajustements.
Il est également nécessaire d’être réactif et de s’adapter rapidement : en visio, les temps de préparation sont assez courts et les appels sont toujours plein de surprises, parfois teintés d’implicite entre deux personnes qui se connaissent alors que moi, interprète, je les traduis pour la première fois.
Le métier d’interprète, et de visio-interprète en particulier, a un impact sur le corps et peut entraîner une fatigue qu’il est important de gérer en faisant des pauses régulièrement, pour éviter l’apparition de troubles musculo-squelettiques.
Que diriez-vous pour encourager des sourds ou malentendants à utiliser Rogervoice ?
Les différents services proposés par Rogervoice permettent de trouver la solution qui convient à chacun.e pour passer tous les appels du quotidien qu’iel a besoin ou envie de passer, que ce soit en LSF, en Langue française Parlée Complétée ou en transcription texte.
Ce service garantit une confidentialité des échanges et permet enfin une réelle autonomie de la personne sourde ou malentendante. Fini le temps où il était nécessaire d’attendre qu’un proche soit disponible pour régler un problème de chaudière par exemple !
En plus, avec le centre-relais téléphonique, toutes les personnes sourdes ou malentendantes ont accès à 3h de communication accessible par mois, gratuitement. Cela laisse la possibilité d’échanger avec ses proches ou de régler des problèmes du quotidien.
Etes-vous amenée à faire les transcriptions pour prêter main forte à des collègues par exemple ?
En tant qu’interprète je travaille exclusivement sur de l’interprétation, je ne suis jamais amenée à faire de transcription pour mes collègues. Ce n’est pas mon métier et je n’en ai pas les compétences.
Y-a-t-il un profil type d’utilisatrice/utilisateur ?
Nous avons vraiment une grande diversité de profils côté LSF que ce soit en termes de genre, d’âge, de région ou d’origine socioculturelle. Cela nous permet de côtoyer une grande variété de langue des signes et de contexte et c’est particulièrement enrichissant.
Quel est le ratio de personnes faisant appel à Roger pour la LSF et celles faisant appel à Roger pour la transcription ?
Des statistiques sont disponibles sur le site de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ). Au dernier trimestre de 2021, il y avait en moyenne 3000 utilisateurs uniques LSF par mois pour un peu moins de 900 utilisateurs de la transcription sur la même période.
Pour en savoir plus sur les statistiques utilisateurs : https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/indicateurs-accessibilite/les-indicateurs-daccessibilite-les-chiffres-du-4eme-trimestre-2021.html