Cet article aurait dû commencer par « Avez-vous lu le dernier Pierre Lemaitre ? »…
Mais finalement, il commence par : « Saviez-vous que l’un des personnages du dernier roman de Pierre Lemaitre, est une jeune femme sourde ? »
Je vous laisse découvrir le portrait qu’il en fait au tout début du roman :
…Nine, depuis l’adolescence, était sourde à quatre-vingt-dix pour cent. Le peu qu’elle percevait lui parvenait « à travers un matelas», c’est ainsi qu’elle l’avait expliqué à François. Peu à peu, à force de ne plus s’entendre elle-même, elle avait commencé à articuler plus difficilement. Craignant de hurler sans s’en rendre compte, elle avait aussi pris le pli de parler très bas, on devait prêter l‘oreille pour la comprendre. Elle fixait les gens avec une insistance qui en avait gêné plus d’un. Il fallait du temps pour comprendre qu’elle lisait sur les lèvres. Elle fuyait les circonstances où il y avait du monde, s’y sentait perdue, toujours peur de passer à côté, d’être ridicule. Elle n’avait jamais appris la langue des signes ni essayé quelque prothèse que ce soit, elle ne voulait rien savoir, je vis ainsi, disait-elle, et la vie était une acrobatie sociale permanente, extrêmement oppressante, qui provoquait chez elle des colères rares mais dévastatrices…
Outre le fait que j’aime bien les romans de Pierre Lemaitre, j’ai tout de suite été interpellée par ce portrait. Il ne mentionne nullement le handicap, il donne juste les caractéristiques de cette jeune femme, comme il le fait pour les autres personnages. La surdité se trouve en quelque sorte banalisée. De plus, il s’est bien renseigné sur le sujet, et fait une description très fine des problèmes de communication que cela engendre… Attention, ça n’est pas un roman sur la surdité, juste un (bon) roman, dont l’un des personnages est sourd (un roman inclusif…).
C’est la suite du, « Grand monde », mais il peut se lire indépendamment du premier, l’auteur a le talent de rappeler au détour d’un chapitre des informations qui facilitent la compréhension du récit.
Les aventures de la famille Pelletier se poursuivent donc à un rythme soutenu. On comprend tout de suite qu’il y aura pleins de péripéties et de rebondissements, mais c’est un peu la marque de fabrique de Pierre Lemaitre, non ? Le destin de chacun des personnages est intéressant, bien que parfois complexe. C’est ainsi un polar (puisqu’il y a un meurtre !), un roman historique qui dépeint les trente glorieuses, une saga familiale. Et il traite de thèmes qui me sont chers : l’impossibilité d’avorter à cette époque-là, la lutte d’un village pour ne pas être englouti par un barrage, les conditions de travail des vendeuses dans les grands magasins et j’en passe…
À bientôt
Irène